Gestion communautaire des ressources marines des zones de pêche coutumières fidjiennes (qoliqoli) - entre le développement et la stagnation, la tradition et l'avenir

Dr. Annette Breckwoldt

Biologiste marine (systèmes côtiers socio-écologiques et petites îles)

Brême, Allemagne

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La République de Fidji est un pays insulaire, qui fait partie de la Mélanésie dans le Pacifique Sud. Elle est composée d'un groupe d’îles volcaniques. Ses plus proches voisins à l'est sont Samoa et Tonga et le Vanuatu à l'ouest. Elle est située à environ 2000 km (1100 miles nautiques) au nord-est de l'île Nord de la Nouvelle-Zélande. Seulement 10% du territoire national (194 000 km²) est composé de terre ferme. Le pays est constitué de 322 îles, dont 105 sont habitées. Il y a également plus de 500 îlots. Les deux îles principales sont Viti Levu et Vanua Levu. Viti Levu possède les ¾ de la population et abrite la capitale, Suva. L'économie est basée sur les ressources forestières, marines et minérales, ainsi que le tourisme. La culture mélanésienne est un mélange des cultures chinoises, indiennes et européennes.

La carte montre les principales îles de Fidji, avec Gau assis à droite sur 18 ° S. Toutes les photos par Annette Breckwoldt.

Les zones de pêche à réglementation coutumière (qoliqoli) permettent une forme de gestion communautaire des ressources marines (GCRM) soutenue par les propriétaires indigènes, le gouvernement central, et certaines organisations locales non-gouvernementales (ONG). Dans les régions rurales en dehors des îles principales, les moyens de subsistance dépendent très directement de la récolte et de la distribution des ressources naturelles.

Les perceptions de la communauté de leur qoliqoli, en particulier des changements dans la taille des poissons et dans la quantité, l'état des récifs et les méthodes de pêche, sont à la base des actions de la population locale. Ces perceptions ne sont pas seulement importantes pour la gestion des ressources et de l’environnement, mais aussi pour le développement continu des systèmes de gouvernance.

La baisse et l'affaiblissement de l'autorité traditionnelle, l'augmentation des charges financières (par exemple, pour l'école et la nourriture), peu d'options de subsistance, et le manque de communication et de transport occupent une place importante. Ces aspects sont fortement liés à la stabilité d'une communauté, et donc aussi à la gestion communautaire des ressources marines. Ils déterminent dans une large mesure leurs activités communautaires de tous les jours et l'attention et la participation à celles-ci et constituent des défis envers leur façon de penser et d'agir.

Comment peut-on donc définir le statu quo des communautés au cours de leur acte d'équilibrage entre le développement et les traditions, le nouveau et l'ancien ?

Est-ce que les communautés rurales des îles Fidji peuvent encore être décrites comme 'traditionnelles', ou ont-elles déjà trop dépassé leur style de vie traditionnel pour revenir en arrière ?

Possèdent-elles en fait encore le désir de revenir à ce mode de fonctionnement traditionnel ? La perception largement répandue, que le système traditionnel devient érodé, est une réalité. Que veulent les Fidjiens, essentiellement ? Un retour à leurs modes de vie traditionnels ou une adaptation de ces modes de vie aux circonstances changeantes de la vie moderne dans les Fidji?

Dans le cadre d'un projet de recherche sur les perceptions des communautés rurales de pêcheurs dans l'île de Gau, de nombreux insulaires ont été interrogés à cet égard. Les méthodes de recherche utilisées étaient des entretiens semi-structurés, des groupes de discussion, des entrevues d'histoire de vie et l'observation des activités des participants et des non-participants. Les journaux de bord des activités de pêche (sur les engins employés, la fréquence et les taux de capture, la richesse en espèces) et d'autres sources plus officielles d'information ont été utilisées pour relier ces perceptions à la production et au statut du système de ressources locales.

Les résultats mettaient généralement l'accent sur l'importance de l'interaction sociale et l'échange d'informations entre les agents officiels de l'administration publique et les collectivités locales pour l'efficacité de la gestion communautaire des ressources marines.  

Les personnes interrogées considéraient un 'retour en arrière' comme n'étant pas la meilleure option, ni pour le bien-être communautaire, ni pour la gestion et la conservation de leurs ressources.

Avant, « soit le Turaga ni koro [chef du village] ou le Turaga ni vanua [chef de la vanua] prenait les décisions et disait aux gens quoi faire ; c’était bien, facile, mieux à suivre. Maintenant, c'est très difficile, il y a tellement de personnes [qui parlent], c'est différend aujourd'hui. »

Les communautés ne veulent pas rester en arrière pendant que d'autres parties de Fidji et le reste du monde se développe autour d'eux. Comment la gestion communautaire des ressources marines pourrait fonctionner avec succès dans ces communautés, sans dégrader la base naturelle de ressources et générer des ressources financières et autres suffisantes pour un développement 'moderne' ? Les commentaires ont suggéré que le dilemme d'être pris entre le passé et l'avenir, sans direction claire pour le présent serait allégé par le renforcement de la direction et de l'autorité. Les insulaires souhaitent par exemple des re-investitures rapides de nouveaux chefs sous la responsabilité de chaque communauté afin d'améliorer la capacité de faire face au changement.

«Je prie pour un bon chef, [un] bon village, explique un villageois, [où les gens] se respectent les uns les autres, c'est ce que j'espère."

«E na na e koro sega lala [dans le village, il n’y a pas d'ordre du chef qui demande d'accomplir un travail] ; avant, ils écoutaient les autres parler, par respect du chef, mais plus maintenant. »

Si l'actuel système traditionnel des chefs basé sur l’héritage des fonctions par hérédité peut survivre aux changements tout en continuant à remplir son devoir de conduire et de soutenir les communautés est une question ouverte. Ou pourrait-il être remplacé par un nouveau type d'autorité, par exemple en incluant les chefs non-traditionnels dans le processus de nomination? Pour l'instant, il est difficile de prédire l’évolution de leur système de gouvernance dans le futur.

De toute évidence, l'ouverture à de nouveaux types d'autorité serait un grand départ de la tradition. Même avec un élu local ayant les bénédictions des anciens de la communauté, cette nouvelle façon de faire serait peut-être pas acceptée dans toutes les communautés.

Néanmoins, si le système traditionnel fidjien ne peut plus transmettre le genre de leadership nécessaire, par exemple en raison d'un manque de personnes compétentes dans la lignée du chef, l'élection d'un chef non héréditaire, charismatique et instruit, signifierait un coup de pouce majeur pour certaines communautés en termes d'identification, de bien-être et de développement.

Le respect, le capital social et l'action collective pourraient donc être reconstruits, comme base essentielle pour l'existence future de la communauté ainsi que pour l’environnement naturel, considéré comme 'la banque et l'assurance' du peuple local.

« 'Sa sega na loloma’ [il n’y pas d'amour / de compassion /de bonté], ‘sa sega na rokoroko’ [il n’y a pas de respect et de politesse]. 'La vie change, la situation dans le village est différente maintenant, maintenant il y a beaucoup de problèmes, c'est comme à Fidji maintenant : indépendants ; et il y a plein de choses qui s'ajoutent, les soli de l'église (taxe, dîme), l’éducation dans le village, etc. Il ya des changements majeurs, par rapport aux temps anciens, en particulier les comportements de la jeune génération, ils semblent entrer en conflit avec les populations et modes de vie traditionnels. » 

Pour conclure, la situation spécifique et les circonstances dans lesquelles une communauté existe doivent être pris en considération avant que la gestion communautaire des ressources marines ne puisse être pleinement réussie. La communauté doit être en mesure de prendre la responsabilité de l'application des mesures de gestion et des règles et règlements élaborés localement. Une approche holistique des GCRM à Fidji -fondée sur une concentration accrue sur les individus importants, leur influence respective et leurs connaissances- peux permettre d'atteindre l'autonomisation locale.

Cela implique la compréhension écologique, de soutenir des choix compatibles avec la durabilité des ressources, la capacité à appliquer des mesures de gestion, et le renforcement des régimes actuels de gestion locale. Mis à part un renforcement du système de direction, une recherche à long terme et une assistance axée sur les communautés sont nécessaires pour soutenir l'évaluation des préoccupations spécifiques de la communauté (y compris les aspects sexospécifiques) et les intégrer dans un processus robuste de gestion des ressources marines à base communautaire.

Lisez-en plus à propose des 'migrations circulaires' et ce que cela peux signifier pour le réglage de la vie dans les communautés à Gau et ailleurs dans les îles Fidji dans un article résumant la recherche d'Annette sur le sujet dans le bulletin d'information 'Savoir et Gestion Traditionnels des Ressources Marines' du Secrétariat de la Communauté du Pacifique.

Vous voulez en savoir plus sur le sokisoki (Poisson porc-épic, Diodon hystrix) en image ci-dessus ? Cliquez ici pour avoir l'info sur FishBase.