Vous pensez peut-être que la Journée mondiale de l’océan est un événement important pour les pêcheurs artisanaux de Hann qui doivent leur subsistance à l’océan. Ils leur rendent certainement hommage à leur manière, mais la Journée mondiale de l’océan, dont l’Assemblée générale des Nations unies a décidé en 2009 qu’elle serait célébrée chaque année, n’était jusqu’à présent pas dans leur ligne de mire. Pendant des années, Mundus maris a été un promoteur actif de réflexions et d’activités en soutien à la devise de l’ONU pour la journée de chaque année, en mettant toujours l’accent sur les jeunes car leur avenir dépend tellement d’un océan sain et productif qui continue à produire la majeure partie de l’oxygène que nous respirons, à stabiliser le climat, à fournir de la nourriture et des emplois. En 2014, nous avons organisé les premières célébrations avec les jeunes des écoles de football et leurs amis et relations.

Cela a pris pas mal de temps. Bougane Bâ, Khardiatou Tambédou, Safy Diaw, Maguette Thiognane et Rama Bar sont toutes des femmes actives dans la pêche artisanale et membres élues de la commission des pêches conseillant le conseil municipal sur les questions sectorielles depuis les dernières élections. Ils ont pris l’initiative avec Aliou Sall, président de la commission et vice-président de Mundus maris, d’organiser un grand événement en 2023 pour la Journée mondiale de l’océan. Le conseil municipal a approuvé la proposition de convoquer un débat avec des représentants invités du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Pêche. Il devait se concentrer sur les dommages infligés aux opérateurs de la pêche artisanale à Hann sous la forme d’infrastructures pour l’économie bleue et d’autres mesures néfastes pour la pêche artisanale. Les griefs portent entre autres sur l’expulsion des femmes mareyeuses de leurs lieux de travail traditionnels vers des conditions précaires et dangereuses. Ces questions étaient déjà mentionnées dans le rapport basé sur une enquête menée auprès d’une cinquantaine de femmes l’année dernière. Les plaintes des femmes concernant les mauvaises conditions sanitaires affectant leur santé sont encore plus anciennes sans qu’aucune mesure corrective n’ait été prise. Cette fois, quelque chose devrait changer pour le mieux, conformément à la devise de l’ONU de cette année « Planète océan : les marées changent ». L’objectif est de trouver un compromis mutuellement acceptable et une coexistence pacifique entre les activités industrielles et artisanales.

En raison de la situation politique et sécuritaire instable dans le pays au cours des dernières semaines, la planification a été entravée car les gens devaient avant tout veiller à leur sécurité personnelle. Dans ces circonstances, la rencontre avec les représentants du ministère a dû être reportée. Entre-temps, les initiateurs ont formé un véritable comité préparatoire pour la Journée mondiale de l’océan avec d’autres parties intéressées.

Mr Mamadou Faye en pleine présentation

Plusieurs thèmes ont été abordés. Au final, il a été convenu de se concentrer sur une bourse aux petits pélagiques, pilier de toute la chaîne de valeur à Hann, de la pêche à la transformation et à la commercialisation, contribuant à la sécurité alimentaire même au-delà de la ville. Pour la base la plus solide possible de l’échange, les initiateurs ont suggéré de revenir également à la recherche en la matière. Il a ainsi été convenu d’inviter Mamadou Faye, biologiste des pêches, ancien chef de division pêche artisanale à la Direction des pêches et ancien chef de la surveillance côtière, qui allie compétences professionnelles et connaissance du contexte local puisqu’il est originaire de Hann.

Ce rassemblement du 8 juin 2023 a fait sensation avec une quarantaine d’hommes et de femmes actifs dans le secteur artisanal. Environ 10 femmes se sont jointes un peu plus tard car elles devaient s’occuper du poisson débarqué auparavant. De la mairie M. Matar Diaw, premier adjoint au maire, et Tamsir, le directeur de cabinet du maire, étaient présents en plus d’Abdou Aziz Sy, en charge de la délivrance des licences de pêche artisanale au sein du Comité Local de la Pêche Artisanale (CLPA), et d’autres.

La présentation de M. Faye consistait en diapositives en français, mais les explications orales étaient en wolof pour mettre l’auditoire à l’aise. Il a élaboré sur (i) l’écologie des petits pélagiques, y compris leurs migrations ; (ii) l’évolution des stocks – ici le principal message à retenir est que la capture par unité d’effort de pêche diminue, signe d’une pêche (trop) intense qui tend également à détériorer les résultats économiques ; (iii) la surcapacité de pêche aux niveaux artisanal et industriel ; (iv) les différentes lois et réglementations auxquelles la pêche artisanale ne se conforme pas et les impacts que cela a ; (v) la méconnaissance de l’effort de pêche industrielle ; (vi) la problématique de la pollution marine et ses impacts sur la société. En bref, il s’est surtout concentré sur la mauvaise gouvernance des pêches en mettant en exergue les responsabilités partagées entre les acteurs étatiques et privés dans les secteurs artisanal et industriel.

A gauche avec chapeau Mr Bacar Fall pêcheur à la retraite, représentant le collège des anciens de la commune

Au cours du temps de discussion qui a suivi, personne n’a contesté sa déclaration sur la coresponsabilité des pêcheurs artisanaux, mais les participants qui ont pris la parole ont exprimé de sérieux doutes quant à une communication officielle sur la flotte industrielle. Ils ont également contesté les données sociodémographiques utilisées en relation avec leur communauté car elles ne coïncidaient pas avec leurs observations quotidiennes. M. Faye a reconnu qu’il pouvait y avoir des difficultés et qu’il pouvait y avoir des faiblesses dans les données, mais qu’il ne pouvait présenter que des informations publiées officiellement. Cela a fait ressortir la nécessité d’améliorer la fiabilité et l’exhaustivité des ensembles de données statistiques du Département des pêches et d’autres institutions pour éviter que des décisions soient prises sur une base faible ou même erronée. C’était une conclusion avec laquelle presque tous les participants étaient d’accord.

Bougane Bâ, l'un des conseillers municipaux intervenant lors de la réunion

Plusieurs questions ont été posées à l’expert, mais qui interpellent en réalité les autorités au plus haut niveau de l’Etat.

Ils ont voulu savoir (i) quelles sont les raisons pour lesquelles l’Etat continue d’accorder l’accès à la pêche industrielle alors que les ressources sont déjà en mauvais état, (ii) pourquoi la collectivité n’est pas informée à l’avance de certaines infrastructures mises en place par la gouvernement central et qui a entraîné une expropriation des pêcheurs et en particulier des femmes, illustrée par des cas avec des projets en cours à Hann, et (iii) pourquoi l’administration des pêches a retardé le paiement aux CLPA des redevances qu’ils attendaient en ristournes sur les revenus financiers de la vente de permis de pêche artisanale. Cette question touchait à un problème d’actualité car on constate que les pêcheurs sont de moins en moins enclins à acheter le permis et à prendre la mer sans en être titulaire.

Mr. Faye (left) and Aliou Sall

Naturellement, M. Faye a dû insister sur le fait qu’il ne pouvait pas parler au nom du gouvernement, même s’il était conscient des problèmes soulevés et s’est limité à ce qu’il pouvait dire en tant qu’expert scientifique et technique. Le modérateur, Aliou Sall, l’a aidé en rappelant aux participants que l’objectif de cette réunion était d’apporter des apports scientifiques aux réflexions dans la localité et qu’une autre réunion était prévue le 13 juin avec des représentants des ministères pour répondre aux doléances concernant gouvernance sous le titre «La relation entre l’économie bleue et la pêche artisanale : conflits et perspectives».

A la fin de l’échange, en tant que président de la commission des pêches de la commune, Aliou Sall a remercié M. Faye pour sa présentation instructive et le public pour sa participation animée. Il a également reconnu que la municipalité avait gentiment mis à disposition une salle entièrement équipée pour le rassemblement et que Mundus maris avait investi beaucoup de temps et d’énergie lors des préparatifs compliqués. L’utilité de cet échange reconnue par les participants a plus que justifié l’effort.

Il a conclu en informant l’assistance que l’académie de la pêche artisanale qui commence à faire son chemin pas à pas au Sénégal, va bientôt prendre plus de forme. Il a expliqué que l’académie veut être un espace pour le même type de dialogue fructueux qui était nécessaire plus fréquemment. Il a expliqué que cette académie sera animée de manière à ce que toute personne intéressée se sente responsabilisée et un acteur/actrice reconnu à part entière. L’académie sera présentée lors de l’inauguration de la maison de pêcheurs construite dans le cadre du partenariat entre la Commune de Hann Bel Air et Fos-Sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône dans le sud de la France. Cela signifie que l’académie de la pêche artisanale devra être soutenue par la municipalité de Hann Bel Air, ce qui pourrait en faire un outil pédagogique de partage des connaissances, de dialogue et d’intermédiation pour l’avenir de la pêche et des communautés qui en dépendent.

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