Peur bleue – naviguer dans les angoisses écologiques, sociales et existentielles pendant l’Anthropocène – Amsterdam, 27-30 juin 2023.
«Les océans ont toujours imprégné les marins de peur : peur des tempêtes, des pirates et des naufrages, et peur des créatures qui vivent sous la surface. Cette conférence suggère que ces craintes s’étendent et s’intensifient actuellement. Les gens n’ont pas seulement peur des tsunamis et des ouragans occasionnels qui font des victimes et ravagent les habitats côtiers. Nous avons également peur de ce que nous avons nous-mêmes déclenché : les réalités de l’acroisement du niveau de la mer, du changement climatique, de la pollution, de la surpêche et de la perte de biodiversité. Les scientifiques font des heures supplémentaires pour affiner la compréhension des causes et des effets et pour proposer des solutions. Les forums politiques internationaux, tels que ceux qui participent à l’actuelle Décennie des océans, incitent les décideurs et les hommes politiques à prendre des mesures d’atténuation et d’adaptation significatives.
Mais la Peur bleue affecte la vie des habitants des côtes et des îles du monde entier, des personnes dont les moyens de subsistance et l’identité sont liés à la côte et à la mer depuis des siècles. … Le visage humain de la côte évolue rapidement. De nouvelles industries se matérialisent et revendiquent un espace : le tourisme, l’aquaculture, l’énergie océanique, la biotechnologie marine et la prospection minière, entre autres. De nouvelles initiatives «ceinture et route» prennent forme et les frontières maritimes sont contestées. Partout dans le monde, les gouvernements redéfinissent le zonage des côtes… Les préoccupations en matière de sécurité entraînent la militarisation des régions côtières, avec des formes nouvelles et anciennes de conflit. Toutes ces demandes d’utilisation de l’espace et des ressources côtières/marines créent des conflits et posent des défis.
La peur bleue a un impact sur la façon dont la société perçoit, étudie, discute et gouverne l’océan … elle ouvre également des possibilités d’invention et de transformation : nouveaux modes de subsistance, nouvelles technologies, nouvelles formes de collaboration, nouveaux arrangements juridiques. De nouveaux espoirs et de nouvelles motivations pour s’engager, se connecter et se mobiliser. … Où cela nous mène-t-il ? …», tels sont les extraits de l’invitation à la conférence. Les sept courants parallèles ont offert de nombreuses occasions de présenter des cas concrets et de réfléchir collectivement à la situation dans son ensemble.
Ce bref article présente quelques impressions tirées de quelques sections sélectionnées, en mettant l’accent sur les panels (60 et 67) axés sur la Peur bleue dans le contexte de la pêche à petite échelle, présidés par Cornelia Nauen de Mundus maris. Les deux panels ont permis de présenter et d’analyser des situations très différentes en Amérique latine, en Europe, en Afrique et en Asie.
Au nom d’une équipe transdisciplinaire du Mexique et du Chili, Victor Manuel Velázquez Durán, de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), a présenté une comparaison des problèmes de gouvernance rencontrés par les pêcheurs dans deux régions frontalières entre le Mexique et le Guatemala et entre le Chili et le Pérou. Les opérateurs artisanaux luttent pour se faire entendre dans des dispositifs de gestion hiérarchisés et dans le processus de réforme de la loi sur la pêche au Chili. Les auteurs plaident en faveur d’une coopération transfrontalière pour la gestion des ressources chevauchantes souvent soumises à une surexploitation industrielle. Des formats de dialogue sont suggérés afin de contrer les tendances à la division associées à la sécurisation et à l’accent mis sur les frontières, qu’elles soient nationales ou qu’il s’agisse de zones protégées.
La communication de Cornelia était intitulée «Maîtriser les peurs et innover ! Les pêcheurs artisanaux comme gardiens de l’environnement côtier en Toscane, Italie». Elle a noté que la préférence politique pour la pêche industrielle en Europe contraste avec les valeurs culturelles des activités artisanales, la valeur souvent élevée des débarquements et le rôle potentiel dans la récupération des ressources surexploitées. La lutte menée depuis dix ans au large de la côte toscane, en Italie, vise à faire respecter l’interdiction légale du chalutage de fond destructeur dans la bande côtière de trois milles réservée à la pêche artisanale à l’aide d’engins statiques.
The approach adopted by local fishers and their supporters involves sinking marble sculptures to discourage trawling. An indication of positive effects is the return of turtles and dolphins. These measures are complemented by a diversification of income streams through taking tourists on board. Their exposure to the work of coastal fishing is often an eye-opening experience for urbanised people and builds social support for marine protection. In addition, tasting freshly caught fish has potential to recreate demand for local quality products. It is hypothesized that the future of artisanal fisheries in Europe needs rethinking its different functions so as to renew maritime cultures into a cultural, ecological and socio-economic revival of coastal zones.
That can become the foundation of new attitudes about what we appreciate as societies to determine the direction of change. Such change requires drawing a diversity of stakeholders into respectful dialogue and action. This is expected to be effective in combination with greater collective engagement with coastal governance in relation to climate change mitigation, halting biodiversity loss and reducing social injustices. It recreates capacity for consensus building and robust locally adapted solutions perceived as legitimate and fair and advancing Blue Justice. The slides are available here.
Sophia Kochalski from the University of Santiago de Compostela in Spain (to the right) presented research of a consortium investigating whether the extremely low resource levels of cod and herring in the Baltic sea also led to a social regime shift. Interviews suggested a lack of trust and constructive interaction between sector administrations and trawl fishers. Rebuilding dialogue channels was suggested among the possible responses tracing alternative pass ways to the current crisis.
The following panel featured Michael Mensah’s online presentation from Ghana. With his co-author, he analysed how wide-spread voodoo practices and the belief system among coastal populations in Ghana that attributed particularly unexplained ailments or undesirable situations to curses. Curses or threats of curses were shown to serve to subdue crew members into obedience and preventing them from unionising.
Andrea Quirino Steiner (below) from the Federal University of Pernambuco, Brazil, and coworkers elaborated on the Costa dos Corais Environmental Protection Area, the largest marine protected area in the country as a case study. Perhaps counter-intuitively since its establishment in 1997, it facilitated different forms of ocean grabbing through tourism and real estate speculation.
Les mécanismes ayant des effets négatifs importants sur les pêcheurs artisanaux comprennent, par exemple, la limitation ou l’entrave de l’accès aux plages, l’augmentation du coût de la vie sur la côte et la promotion de transitions professionnelles non souhaitées. Mais la mauvaise gestion des déchets et des eaux usées, qui a un impact négatif sur l’environnement dans les zones touchées par le tourisme, a également joué un rôle, tout comme le manque d’information des résidents locaux, y compris des pêcheurs, dont beaucoup n’étaient pas au courant des réglementations et des solutions qui auraient pu être utilisées dans d’autres régions pour résoudre des problèmes similaires.
Gummadi Sridevi (ci-dessous), de l’école d’économie de l’université d’Hyderabad, en Inde, travaille sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Sur la base de 190 entretiens, elle a analysé le déclin de la production traditionnelle de riz pokkali en alternance ou en combinaison avec la culture de crevettes dans les champs, où le niveau de l’eau peut atteindre 1,8 m. Moins de personnes savent aujourd’hui comment cultiver le pokkali et sont prêtes à relever les défis, même s’il est souvent considéré comme ayant une valeur nutritionnelle plus élevée que d’autres variétés de riz. Au cours des deux dernières décennies, la superficie cultivée est passée de 25 000 hectares à seulement 4 000 hectares environ. Le pokkali est ainsi devenu un produit d’exportation précieux destiné à un marché de niche plutôt qu’un aliment de base local. Le fait que les machines modernes de labourage ne puissent pas être utilisées sur les sols humides et que la main-d’œuvre qualifiée pour travailler manuellement dans les champs inondés soit devenue rare est un facteur qui y contribue. Ainsi, de plus en plus de riziculteurs louent leurs champs uniquement pour la production de crevettes, ce qui a des répercussions importantes sur le paysage socio-économique et nutritionnel. Nombreux sont ceux qui regrettent la perte de cette culture et de cette tradition alimentaire.
Lors des deux sessions, Cornelia a invité tous les participants à se concentrer sur les enseignements à tirer pour améliorer l’avenir dans les débats généraux. Quelques points communs sont apparus entre les différents cas, en particulier le fait que les opérateurs à petite échelle n’avaient que peu d’opportunités, voire aucune, d’être correctement informés sur les politiques sectorielles, parfois même sur les réglementations applicables localement. Il leur était très difficile de se faire entendre et de participer activement aux processus d’aménagement de l’espace marin qui se déroulaient dans de nombreux pays et qui ont également fait l’objet de discussions dans plusieurs autres sessions. La faiblesse des organisations sociales ou syndicales est un obstacle récurrent à une plus grande équité et à la justice bleue. La confiance, élément essentiel d’une gouvernance réussie, semble faire défaut.
La recherche peut-elle contribuer à surmonter ces faiblesses ? En sensibilisant davantage les petits opérateurs et en attirant l’attention des décideurs politiques et d’un public plus large sur les bons exemples d’accès équitable aux espaces marins, au crédit, à l’éducation et aux services sociaux, il est possible de mettre davantage l’accent sur les solutions au lieu de se contenter de décrire les cas problématiques.
Il existe également des différences évidentes. En Europe, où les pêcheurs artisanaux ne sont ni économiquement ni électoralement très importants après des décennies de politiques de modernisation industrielle, les arguments en faveur de la relance de la pêche artisanale incluent éventuellement un contexte d’accent plus fort sur la restauration de la nature et de nouvelles opportunités pour combiner une appréciation du patrimoine culturel avec de nouvelles multifonctionnalités dans les zones côtières. Dans de nombreux pays du Sud, l’importance des populations actives et dépendantes de la pêche artisanale rend beaucoup plus pertinents les arguments économiques, sociaux et de sécurité alimentaire en faveur du soutien aux économies locales et régionales d’aliments à base de poisson.
Il convient également de replacer cette question dans le contexte plus large du développement de l’économie océanique, comme l’a expliqué Liam Campling, de la School of Business and Management (QMUL), à l’université de Londres. Dans son exposé intitulé « Facing Blue Fear through Just Transition ? Redistribuer la (les) valeur(s) et la richesse dans l’appropriation de l’océan mondial », il a illustré l’importance d’étudier les entreprises importantes et leurs stratégies afin de se ménager une marge de manœuvre dans les négociations. Si une dichotomie simpliste entre grande et petite échelle ne permet pas de saisir les nombreuses formes d’interaction, l’organisation et la bonne intelligence sont importantes pour les petits acteurs, qu’ils soient publics ou privés.
Le dernier jour de la conférence, une session organisée par la FAO et présidée par Fatou Sock a donné un aperçu intéressant des défis et des avancées de l’initiative pour la pêche côtière soutenue par le Fonds pour l’environnement mondial à hauteur de 35 millions d’USD sur trois continents, l’Amérique latine, l’Asie et l’Afrique.
Le travail en Indonésie a été particulièrement remarquable dans la mesure où l’approche SASI, qui signifie « ne pas interdire » et qui est ancrée dans les techniques de gestion ancestrales, a été mieux acceptée. Les services gouvernementaux à différents niveaux ont reconnu qu’ils ne disposaient pas des ressources humaines, techniques et financières nécessaires pour couvrir tous les besoins de gestion et ont reconnu la gouvernance des droits coutumiers en l’incluant dans le plan de zonage public.
Les exemples d’Afrique de l’Ouest se sont concentrés à l’inverse sur la modernisation de la législation sur la pêche et sur la manière d’améliorer la reconnaissance des femmes dans les pêcheries du Cap-Vert grâce à de meilleurs services sociaux et à d’autres mesures en faveur de l’égalité des sexes.
La contribution du Pérou s’est concentrée sur un programme d’épargne et de crédit destiné à soutenir au moins une partie des quelque 55 000 ménages de pêcheurs, dont beaucoup ne disposent d’aucune épargne et dont 86 % des femmes ont des rémunérations bien inférieures au salaire minimum.
Pour compléter les présentations, l’outil d’évaluation des performances des pêcheries (FPAT) a été présenté pour suivre le triple bilan des dimensions économique, écologique et communautaire grâce à une collecte et une analyse plus systématiques des informations.
Dans l’ensemble, ce fut une conférence intéressante qui a permis de retrouver plus de collègues sur place après l’édition hybride pendant la pandémie, mais qui a nécessité de nombreuses décisions difficiles pour choisir entre les sept sessions parallèles. Il y avait beaucoup à apprendre des expériences dans un large spectre de systèmes sociaux d’utilisation des ressources marines.
Académie de la pêche artisanale
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