La question n’est pas anodine, surtout si l’on considère qu’il y a neuf ans, une étude détaillée sur l’état des ressources halieutiques dans les eaux européennes avait mis en évidence les avantages considérables de la mise en œuvre de la politique commune de la pêche (PCP) réformée. « Nos données montrent que seuls 12 % des stocks répondent actuellement aux exigences de la PCP de l’Union Européenne », a expliqué le Dr Rainer Froese de GEOMAR, responsable de l’étude commandée en 2016 par l’organisation environnementale OCEANA.

Une équipe d’experts internationaux a analysé les données relatives à 397 stocks de poissons et autres fruits de mer dans les mers européennes, de la mer de Barents à la mer Noire, afin d’essayer de comprendre les avantages d’une meilleure gestion. « Le résultat m’a surpris par sa limpidité », a admis le Dr Froese. L’étude a montré que les rendements globaux pourraient augmenter de 57 % si les stocks de poissons étaient d’abord reconstitués, puis soigneusement gérés. Des stocks tels que ceux de l’églefin et le cabillaud de la mer du Nord ou le cabillaud et le hareng de la mer Baltique occidentale pourraient même produire trois fois plus !

La reconstitution des stocks ne prendrait que quelques années, en fonction de leur état de santé actuel. La « pêche prudente » proposée dans l’étude signifierait que le niveau d’extraction ne devrait pas dépasser 90 % du rendement maximal durable de chaque espèce (RMD), car les espèces interagissent les unes avec les autres dans la nature. Les principes de base d’une approche écosystémique de la pêche devraient avoir pour but de reconstruire des écosystèmes diversifiés et productifs : (a) prélever moins que ce qui est régénéré ; (b) laisser les poissons grandir et se reproduire avant de les capturer ; (c) utiliser des engins de pêche ayant un faible impact sur l’environnement et sur les autres espèces ; (d) prévoir des zones de refuge ou des zones interdites à la pêche en tant que réservoirs de diversité génétique ; et (e) maintenir des réseaux trophiques fonctionnels en réduisant la pêche d’espèces fourragères, telles que les anchois, les sardines ou les harengs. L’étude a été officiellement publiée dans Marine Policy (1).

Pourtant, les débarquements ont presque diminué de moitié dans l’intervalle et les perspectives sont plutôt sombres, en particulier pour les pêcheurs artisanaux qui n’obtiennent que peu ou pas de quotas. Les zones nominalement réservées aux pêcheurs artisanaux, par exemple en Italie, sont confrontées aux incursions de navires industriels, et les pêcheurs doivent faire face à des difficultés d’accès au marché. Parallèlement, le réchauffement des eaux de surface et d’autres effets croissants du changement climatique entraînent une diminution de l’oxygène dissous et une acidification des eaux marines. Ces phénomènes modifient la composition des espèces, réduisent leur croissance et entraînent une baisse des captures.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne a commandé une étude pour explorer les perspectives de la pêche artisanale et industrielle d’ici 2050 selon quatre scénarios de changement climatique et de marché.

Le scénario le plus optimiste est appelé « Thriving Responsibility “ (responsabilité prospère), partant du principe que le monde a limité l’augmentation de la température mondiale à une hausse modérée par rapport aux niveaux préindustriels. L’UE a atteint ses objectifs de réduction des émissions et a contribué à freiner la perte de biodiversité, notamment en améliorant la mise en œuvre de la PCP pour l’exploitation des stocks halieutiques et d’autres politiques environnementales. Certains éléments au moins renvoient aux conseils et aux principes approuvés il y a plus de dix ans lors de l’adoption de la réforme de la PCP en 2013.

Le scénario le plus pessimiste est intitulé « Pénurie et survie”

À l’inverse, le scénario le plus pessimiste, intitulé « Pénurie et survie », prévoit dans une large mesure le maintien du statu quo. En l’occurrence, le secteur de la pêche de l’UE est confronté à une tempête parfaite de défis. Le changement climatique modifie radicalement les écosystèmes marins, rendant les stocks de poissons imprévisibles et plus difficiles à contrôler. L’UE doit dans ce cas réduire davantage les quotas et les autres possibilités de pêche, ce qui contraint l’industrie de transformation à s’appuyer davantage sur des importations bon marché, qui sont également confrontées à des réductions en raison de la catastrophe climatique mondiale et de la nécessité de donner la priorité à leurs marchés intérieurs.

L’étude complète (2) et d’autres documents relatifs au processus d’élaboration des scénarios qui invitent à une réflexion plus approfondie sont disponibles sur le site web de la Commission européenne. Les défis inhérents à ces scénarios, comparés aux opportunités mises en évidence il y a quelques années, devraient avant tout inciter à une action déterminée pour reconstituer des ressources saines et offrir des perspectives viables pour une pêche rentable à faible impact dans un avenir proche.

Traduction française de Christiane van Beveren.

(1) Froese, R., Winker, H., Coro, G., Demirel, N., Tsikliras, A.C., Dimarchopoulou, D., Scarcella, G., Quaas, M. and Matz-Lück, N. (2018). Status and rebuilding of European fisheries. Marine Policy, 93:159-170. https://doi.org/10.1016/j.marpol.2018.04.018

(2) Davies, M., Macfadyen, G., Brugere, C., Chiarelli, N., Dale, F., and Caillart, B. (2024). Foresight Study on Fishers of the Future. Publications Office of the European Union, 2024, 155p. doi: 10.2926/3984926