Profitant de son séjour en Guinée pour les besoins du 9ème forum du PRCM, le délégué de Mundus maris a fait une immersion dans le port de pêche artisanale de Boulbinet à Conakry. L’objectif était de procéder à un mini reportage improvisé sur le dynamisme de ce secteur, son importance sur le plan socioéconomique et culturel, certes. Mais aussi, il s’agissait de recueillir des avis auprès d’interlocuteurs (pêcheurs et femmes dépendantes de ce secteur sous divers angles) relatifs à ce qu’ils considèrent comme nouveaux enjeux auxquels ils font face dus à la globalisation.
Cette visite de terrain et le succès connus n’auraient été possibles sans l’assistance de M. Faneyawa Soumah, leader charismatique et coordonnateur national des quais de débarquement de pêche artisanale de Guinée.
A l’instar du contexte prévalant dans la quasi-totalité des pays de la sous-région, Boulbinet grouille de monde quotidiennement et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tant dans l’enceinte même du port que dans ses zones périphériques, on assiste à d’intenses activités économiques que ce soit du secteur formel ou informel:
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Usines de fabrication de glace, denrée devenue de plus en plus nécessaire pour les pêcheurs contraints d’allonger la durée des marées;
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Petits magasins où les pêcheurs peuvent trouver des équipements et gréements en neuf ou seconde main;
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Micro –mareyeuses en frais installées à même le marché construit sur le site;
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Points de vente de denrées alimentaires;
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Femmes spécialisées dans le fumage notamment du barracuda, du machoiron et de la sardinelle plate;
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Divers métiers tels que mécanique de moteurs hors-bord, charpentiers;
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Restaurants en plein air;
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Autres petits commerces: coiffeurs, vendeurs de friperies.
L’intensité de ces activités au sein du débarcadère de même que dans toute sa périphérie démontre aisément l’importance de la pêche artisanale sous les angles social et économique. Il en est de même dans les autres pays de la sous-région.
Au-delà du rôle prépondérant de la pêche artisanale en Guinée, plus particulièrement le quai de débarquement de Boulbinet en termes de créations d’emplois in situ, ce secteur contribue de manière considérable à la sécurité alimentaire. En effet, la Guinée fait partie des pays ouest africains où « consommer du poisson » occupe une place importante dans les traditions culinaires. A l’instar des réalités prévalant dans la sous-région, il y’a une disparité en terme de dépendance vis-à-vis des produits de la pêche selon qu’on est en zones côtière, rurale, forestière. En ce qui concerne Conakry, une ville côtière, le poisson a toujours occupé une place prépondérante dans les habitudes culinaires.
Dans le menu des produits proposés, le « fumé » (machoiron, barracuda et des petits pélagiques) est l’un des favoris. La manière traditionnelle de préparer les plats permet à tout un chacun de trouver un plat correspondant à sa bourse : poisson en entier ou en morceaux vendu à la pièce, accompagné de riz local ou d’Atiéké (semoule de manioc). Le poisson est si important pour certaines communautés, qu’il est pris tôt le matin dès 9h00, notamment le machoiron fumé en sauce accompagné de riz local. Eu égard à la valeur culturelle attribuée aux produits de la pêche avec des préférences en fonction des groupes ethniques (cas du machoiron pour les Soussous), œuvrer pour la durabilité de la pêche devient un impératif dans la mesure où même la durabilité sur le plan culturel en dépendra. Il va sans dire que pour les communautés de pêcheurs elles-mêmes, la valeur culturelle attribuée à l’activité « pêche » au-delà de sa dimension économique ne se limite pas aux aspects strictement culinaires (voir entretien avec F. Soumah, leader charismatique de la pêche artisanale nationale).
Il s’avère important de noter que parallèlement à ces restaurants spécialisés en produits fumés, il en existe d’autres en plein air dans Conakry, servant plutôt du poisson frais frit, accompagné de Aloko (bananes plantain frites dans l’huile de palme ou de l’huile d’arachide) et/ ou Atiéké principalement. Avec l’extension de la ville de Conakry et les problèmes de mobilité urbaine poussant beaucoup de travailleurs à « faire journée continue », on assiste à une prolifération de ces types de restaurants en plein air. Enfin, il faut souligner un fait marquant au niveau de ces lieux et qui saute à l’œil nu. Il s’agit de leur dépendance devenue quasi exclusive des « filières de poisson surgelé » pour leur approvisionnement. Rencontrer une femme qui s’approvisionne auprès des pêcheurs artisanaux devient de plus en plus une exception à la règle.
Les femmes ont traditionnellement dominé une bonne partie de la filière « post-capture ». Assez similaire à ce que nous avons documenté dans plusieurs localités au Sénégal, nous trouvons de nombreuses femmes pas seulement dans la transformation et le conditionnement du produit frais, mais aussi dans le commerce locale et sous-régional jusque dans les pays du Sahel. Comme déjà mentionné, elles sont omniprésentes dans la restauration en plein air.
Or, leurs conditions d’approvisionnement en matière première ont beaucoup changé ces dernières années comme résultat des mutations dans la propriété et l’organisation du travail dans les différentes filières. Ainsi, les investisseurs étrangers avec leur pouvoir d’achat et d’impact sur l’organisation du travail ont désormais pris la place des mareyeurs et mareyeuses au point qu’ils ont réduit les relations directes qui existaient entre les pêcheurs et les femmes transformatrices et commerçantes. Rare sont maintenant les femmes qui peuvent encore accéder au produit fraichement débarqué, alors elles se sont tournées vers les produits soit congelés en vrac, soit emballés (voir description de Mme Fofana ci-après).
Ces conditions en mutation à Conakry ont probablement aussi joué un rôle dans la migration de beaucoup de femmes guinéennes vers le sud du Sénégal où elles contribuent notamment à Kafountine à l’importante croissance de la pêche artisanale et s’occupent notamment dans la transformation par fumage et du commerce sous-régional du poisson frais (sardinelles, raies, etc.). Ceci a été repérés pour un film documentaire sur la pêche artisanale en Casamance tourné par Thomas Grand de Zideoprod et co-sponsorié par Mundus maris. Le film sera bientôt disponible pour diffusion.
Malgré l’importance de la pêche artisanale sur les plans social, économique et culturel tel que nous avons essayé de l’illustrer dans les pages qui précèdent, la durabilité sous tous ces angles est de nos jours remise en cause. Lors des passages multiples à Boulbinet, les entretiens avec les femmes impliquées directement dans les activités de pêche ou restauratrices de même qu’avec les pêcheurs font état d’une combinaison de facteurs qui ne sont pas de nature à assurer à terme :
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un accès à des ressources en bon état capable d’assurer le maximum durable de leur productivité pour des milliers de pêcheurs;
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une domestication de manière suffisante des revenus tirés de la pêche pour la Guinée, indispensable comme ressources financières pour les populations et l’Etat;
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la couverture des besoins des ménages en protéines d’origine animale à partir des produits de la pêche et
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la préservation des emplois dont dépendent des dizaines de milliers de personnes comme source de revenus.
Plusieurs problèmes ont été pointés du doigt par nos interlocuteurs comme étant les facteurs menaçant de manière sérieuse la pêche artisanale avec comme conséquence directe, la dégradation des conditions de vie des dizaines de milliers de personnes qui en dépendent. Parmi ces facteurs, ceux qui sont énumérés par nos interlocuteurs de manière récurrente tournent autour de la marginalisation des entrepreneurs femmes et hommes locaux et leurs perceptions par rapport aux mutations en cours.
Ainsi, la Guinée comme faisant partie intégrant de cette écorégion ne saurait être épargnée par ce phénomène. Mais si la globalisation n’est pas un phénomène récent, ces promoteurs sont à la recherche perpétuelle de stratégies en vue de s’assurer un approvisionnement régulier en produits, quels que ce soient les impacts que cela pourrait engendrer. En effet, lors des passages multiples dans ce site au cours de cinq dernières années permet de palper l’emprise croissante de la globalisation des marchés sur la pêche artisanale et sur les communautés qui en dépendent. Parmi ces faits, les plus marquants sont :
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Une nouvelle stratégie de la part des Coréens consistant à détenir leurs propres unités de pêche artisanale et à recruter parmi les pêcheurs artisanaux. Elles ciblent l’otolithe et la sole destinés à l’exportation. Les captures sont débarquées au port de Boulbinet : l’otolithe et la sole pour l’exportation et le reste des captures accidentelles dénommé « poisson africain » commercialisé auprès des femmes micro-mareyeuses et fumeuses (notamment le machoiron) ;
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Une sous filière mise en place récemment dénommée « pêche artisanale avancée » initiée par les Chinois et en plein essor, utilise des petits bateaux en bois avec moteur inbord dont les pièces sont élaborés en Thailande et rassemblées en Guinée. A bord de ces petits bateaux sont recrutés environs une dizaine de pêcheurs artisans, avec un chinois embarqué pour contrôler les opérations de pêche. La spécificité de cette sous filière est que les débarquements sont faits au niveau du Port autonome de Conakry où les chinois ont aménagé des entrepôts frigorifiques où l’otolithe et la sole sont conditionnés pour être exportés. Cela rend davantage difficile d’assurer la traçabilité des produits et de connaître les quantités prises. Le reste, le « poisson africain », est commercialisé au grand marché urbain de Conakry dénommé KENIE par les Chinois, qui passent par des femmes recrutées comme agents. C’est à partir de ce marché que bon nombre de femmes – qui s’approvisionnaient auparavant à même le port de Boulbinet – achètent les produits. Il s’agit de ménagères, femmes restauratrices et transformatrices ;
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A cette catégorie d’opérateurs chinois, s’ajoute une deuxième qui, contrairement aux Coréens impliqués dans la pêche artisanale en détenant leurs propres unités de production (point I ci-dessus), sont des collecteurs / mareyeurs en frais auprès des pêcheurs artisanaux. Ils ne s’intéressent qu’à l’otolithe qu’ils exportent via des circuits tenus dans le secret. Là aussi se pose un problème de la traçabilité des produits.
- Sur la voie de Chinatown ? Au-delà de cette présence physique de ces asiatiques dans la pêche artisanale qui illustre en quoi la globalisation est un processus qui va vite et loin (là où one ne l’attendait point il y’a quelques années en arrière), il y’a un autre fait marquant qui dénote de l’emprise de la globalisation sur les communautés de pêcheurs en Guinée. Il s’agit du processus d’implantation des chinois dans l’un des quartiers les plus traditionnels de Conakry, à savoir Kaloum dont fait partie intégrante Boulbinet et et juste à côté du port de Boulbinet. On y trouve dorénavant : magasins d’alimentation, restaurants et autres coins pour massage ayant l’allure de maisons closes, tous réservés exclusivement aux chinois où l’auteur a tenté de faire un achat mais il a été refoulé là plusieurs reprises. La chose la plus extraordinaire est le caractère si fermé de ces endroits réservés à eux seuls alors qu’ils sont aménagés en plein centre de ce quartier populaire.
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Les opérateurs libanais: Pêcheurs sportifs tout court ? Pêcheurs artisanaux commerciaux propriétaires et / ou poissonniers exportateurs?
Si l’implantation des asiatiques ci-avant décrite dénote des mutations profondes dans la trajectoire des pêcheries artisanales guinéennes, la présence des Libanais en est une autre illustration. Depuis environs quatre à cinq ans, on assiste à l’arrivée de ces derniers en nombre croissant. Leur spécificité réside dans le fait (i) qu’une bonne partie d’entre eux détiennent leur propre unité de pêche et (ii) qu’ils tiennent tous des poissonneries à partir desquelles ils commercialisent des espèces nobles destinées principalement vers l’exportation : Europe, Afrique aussi. A la demande des clients, les produits peuvent être conditionnés en frais dans des caisses en polystyrène. En peu de temps, le nombre de ces poissonneries s’est accru dans le quartier de Kaloum / Boulbinet. Un des aspects assez intriguant de cette filière est que ces opérateurs se déclarent « pratiquer la pêche sportive » en dépit du caractère commercial de leurs activités.
En termes d’impacts engendrés par la globalisation des marchés, les avis les plus concordants recueillis auprès des actrices et acteurs rencontré(e)s peuvent se résumer en ces points suivants:
- Tout d’abord, ils dénoncent les menaces que comportent les pratiques des chinois et coréens qui ciblent exclusivement l’otolithe (plus particulièrement) et la sole sur l’écosystème marin. Selon ces derniers si aucune mesure efficace n’est prise de manière urgente, il faudra s’attendre à un effondrement des stocks d’otolithe par surpêche dans le moyen, voire court terme, car déjà une partie importante des mises à terre visibles est constituée par des juvéniles (petites tailles). En outre, la valeur des prises ne couvre parfois guère les coûts de la marée de plus en plus longue. Des marées plus longues engendrent le besoin d’acheter davantage de glace coûteuse en réduisant ultérieurement la rentabilité. C’est une spirale néfaste en dépit d’une expérimentation accrue sur comment réduire la quantité de glace sans porter atteint à la fraicheur du poisson. Les locaux sont d’autant plus préoccupés par le sort réservé à ces espèces quand ils s’aperçoivent que cette forte pression sur l’otolithe tend à se synchroniser à l’échelle de la sous-région (les mêmes armateurs étant opérationnels en Guinée Bissau). Aussi, l’opacité caractérisant les filières asiatiques et libanaises pose un problème de gestion, de gouvernance des pêches et de traçabilité des produits qu’ils pêchent et exportent.
- Au-delà de l’impact négatif sur la ressource de cette surcapacité de pêche, d’autres conséquences directes en découlant ont été soulevés: d’abord pour les femmes, les changements intervenus dans la structure de la propriété (contrôle progressif des moyens de production par les asiatiques et les libanais) impactent sur l’organisation sociale dans la mesure où les conditions d’accès aux produits ont changé. En effet les possibilités d’achat à crédit et d’obtention de prix préférentiels auprès des pêcheurs sont de moins en moins de rigueur. De même, plusieurs femmes qui s’approvisionnaient auprès des pêcheurs à même le port sont obligées de se rendre au marché de KENIE à quelques encablures de là où les asiatiques mettent en vente leurs prises accessoires dénommées « poisson africain ». Cette nouvelle donne a des effets négatifs directs sur l’organisation du travail (plus de temps imparti à l’achat du produit dans une ville connue pour ses embouteillages) et par conséquent des coûts de transaction plus élevés).
- Une autre préoccupation rencontrée a trait aux impacts du développement des exportations sur la sécurité alimentaire. Lors d’un passage dans un des restaurants en plein air ne servant que du poisson accompagné de Aloko vers un lieu de la capitale assez célèbre appelé Brikomomo, Madame Fofana, tenante du lieu, disait :
« Il y’a encore sept à huit ans, nous achetions du poisson entassé à même le quai que nous nous chargions de mettre dans nos bassines. Mais depuis, je ne vois que du poisson déjà emballé en carton et le plus souvent congelé, que nous devons par conséquent dégeler avant de le cuisinier. Aussi, nous ne savons plus d’où ça vient, qui l’a pêché même si au fond, nous sommes sûrs que cela vient des eaux de Guinée. Mes clients commandent des portions plus petites qu’avant car le poisson est devenu cher. Je ne comprends pas pourquoi le poulet que nous importons congelé peut être parfois moins cher que le poisson alors que nous sommes entourés des deux côtés des ports de Boulbinet et Taminataye. Moi, je sais que si le poisson est devenu cher, c’est aussi parce que tout part à l’étranger et cela va poser problème parce que les gens ne pourront plus continuer à manger. Regardez la quantité de petits maquereaux et chinchards que je sers aujourd’hui et tout est acheté par des clients dont certains préféraient rester à jeun que manger ces deux espèces. Peut-être qu’il y’a des ethnies qui adorent ça mais ici au restaurant cela n’a jamais été le plat alors que maintenant……. ».
Nous nous approchons donc à une situation similaire qu’au Nigeria où des quantités importantes de « poisson africain » congelé en vrac par des navires industriels compensent la raréfaction du poisson dans les eaux du pays face à une forte demande. Avec la différence que les eaux guinéennes et de tous ces voisins au nord d’Afrique étaient parmi les plus poissonneuses du monde, mais que la pêche INN y provoque une surpêche qui se généralise. Ainsi les espèces en haute valeur marchande internationale dont les populations sont déjà fort réduites ne sont accessibles que par les riches – qu’ils soient au pays ou à l’étranger. Les petits pélagiques souvent pris au Sénégal et en Mauritanie – heureusement de bonne valeur nutritive – restent encore à la portée des populations tant qu’ils ne sont pas réduites en farine et huile de poisson pour nourrir le saumon et d’autres espèces carnivores engraissées dans les cages p.ex. en Norvège ou plutôt en Chine.
Ceci constitue un argument supplémentaire pour les partisans d’un choix de développement qu’il faudrait accorder à la pêche artisanale. Cette appréciation met en avant qu’en tant que chaines de valorisation économique ancrées localement, la pêche artisanale distribue relativement mieux les coûts et les bénéfices que la pêche industrielle. Ceci est en contreposition à une approche pouvant être associée à une sorte de mythe comme quoi le développement de ce secteur devrait passer par son industrialisation à outrance (l’ensemble des phases, de la capture à la valorisation et commercialisation des produits). Il en est ainsi du cas du Sénégal où, dès les indépendances en 1960, les autorités avaient fondé tout leur espoir sur l’industrialisation de la pêche artisanale jugée comme « vouée à sa propre disparition ». Mais cette assertion n’a pas résisté à l’analyse des faits quand on constate aujourd’hui la place de la pêche artisanale dans l’économie globale des pêches de capture (ex : pas moins de 65% des volumes exportés par les usines proviendraient de la pêche artisanale). J.P. Chevaux, dans l’un de ses travaux parlait, en faisant allusion au dynamisme de cette pêche artisanale de « Développement sans développeurs ».
En revanche, la pêche illicite, non-déclarée et non-règlementée (INN), pratiquée notamment par des navires industrielles tout venant qui sont responsables de la moitié des captures dans la sous-région et de plus de trois quart dans la seule Guinée, compromettent la ressource à un point tel que l’économie locale et sous-régionale basée sur la pêche artisanale risque de se casser la figure, comme le démontrent les prises par unité d’effort en baisse significative. (1, 2, 3).
Dans un contexte ouest africain où les autorités sont encore à la recherche de moyens financiers pour accompagner la décentralisation, la pêche artisanale, de par les perspectives qu’elle offre à partir de ce que nous avons vu sur le port de Boulbinet, pourrait être une bonne source d’inspiration pourvu qu’elle soit protégée de la concurrence déloyale des industriels. En effet, comparé au port de pêche industrielle localisé à quelques encablures, Boulbinet comme tous les ports de pêche artisanale a les avantages suivants: (i) l’ouverture au public donnant ainsi cette possibilité d’y mener des activités génératrices de revenus pour des milliers de personnes sans autre alternative, (ii) l’« atomicité » accordant des perspectives pour le développement local distribué en comparaison aux ports industriels localisés dans un et un seul site vu l’investissement en dur nécessaire et dont les bénéfices sont appropriés par peu de propriétaires et investisseurs.
(1) Belhabib, D., Doumbouya, A., Diallo, I., Traore, S., Camara, Y., Copeland, D., Gorez, B., Harper, S., Zeller, D. and Pauly, D. (2013). Guinean fisheries, past, present and… future?. pp 91-104. In: Belhabib, D., Zeller, D., Harper, S. and Pauly, D. (eds.), Marine fisheries catches in West Africa, 1950-2010, part I. Fisheries Centre Research Reports, 20(3). Fisheries Centre, University of British Columbia, Canada [ISSN 1198-6727]. Voir graphique avec captures entre 1950 and 2012 à moduler selon différents critères de sélection des usagers.
(2) Belhabib D, Sumaila UR, Lam VWY, Zeller D, Le Billon P, Abou Kane E, et al. (2015). Euros vs. Yuan: Comparing European and Chinese Fishing Access in West Africa. PLoS ONE, 10(3): e0118351. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0118351
(3) Belhabib D, Sumaila UR and Pauly D (2015). Feeding the poor: Contribution of West African fisheries to employment and food security. Ocean & Coastal Management, 111:72-81. https://doi.org/10.1016/j.ocecoaman.2015.04.010
Mais à l’instar des autres pays de la sous-région, se pose la question de leur mise en œuvre. En effet, comme le démontre une analyse pays par pays de l’efficacité de la surveillance en mer pour contrecarrer la pêche INN industrielle, les pertes économiques annuelles sont dramatiques pour des pays ayant besoin d’investir pour leur développement général et de protéger leurs ressources pour un usage durable (4).
Entretemps, le filet à monofilament est interdit pour la pêche artisanale, mais bon marché et facile à se procurer. L’usage de cet engin nocif a tendance à se généraliser comme on peut le constater au niveau du port. Cet engin, comme l’attestent certains vieux pêcheurs et quelques femmes impliquées dans le mareyage en frais et le fumage, cause d’importants dégâts en dégradant les écosystèmes marins par peu de sélectivité et par pollution de l’environnement lors des importantes pertes de filets. Les quantités de juvéniles débarquées par ces filets et faisant l’objet de pertes après-capture sont de plus en plus importantes quand on compare avec les années d’avant (voir entretien avec M. Soumah). Selon ce leader charismatique, au-delà des dommages environnementaux engendrés par cet engin avec les captures de juvéniles, il pense que des communautés de pêcheurs doivent avoir intérêt à réduire leur impact pour pouvoir continuer de dépendre des écosystèmes marins.
Pourquoi y a t-il une espèce de status quo entre l’administration halieutique et les acteurs des filières des pêcheries ? Nous avons repérés différentes réponses.
La capacité efficace de surveillance en mer et de poursuite administrative et judiciaire des armateurs et équipages industriels dont les infractions seraient confirmées n’est pas facile à développer et maintenir. Surtout que des administrations en place semblent ne pas être encore bien préparées face à des intérêts économiques importants et des méthodes criminelles très variées telles que présentées récemment lors d’une conférence au Parlement européen sur la criminalité organisée internationale à partir de la pêche.
L’accroissement du nombre de pêcheurs artisans nationaux auxquels s’ajoutent des migrants de plusieurs nationalités de la sous-région avec une tendance à se sédentariser est d’un apport pour le pays, mais pose en même temps un problème pour la durabilité des ressources. C’est d’autant plus le cas dans la mesure où la pêche INN s’ajoute aux prises de la pêche artisanale et agit en concurrence directe avec elle. La surveillance et le contrôle ne sont pas encore faits de manière aussi stricte qu’ils se devraient pour l’ensemble du secteur, y compris la pêche artisanale.
Le déplacement des problèmes des contextes nationaux (niveau de chaque Etat) vers le niveau sous-régional n’est pas la seule solution à envisager. Il est vrai que : « A problème de dimension régionale, solution à caractère régional », mais cette façon de tout ramener à une approche sous-régionale constitue parfois un réel frein à toute recherche de solution, car elle peut dévier l’action de ce qui serait déjà faisable et nécessaire au niveau local et national. L’exemple des organisations de pêcheurs a été souvent cité pour illustrer ces réserves en ce qui concerne une approche sous-régionale tous azimuts. Selon certains de nos interlocuteurs, le transfert de prérogatives qui relevaient avant de leaders traditionnels (à l’échelle communautaire) vers une catégorie de nouveaux leaders des temps modernes parlant au nom de toute une sous-région sans y être toujours bien ancré pose problème. A. Camara, pêcheur à Boulbinet, s’adressant à nous disait: « Vous savez monsieur, aujourd’hui les ONGs écoutent et parlent (à) des gens qui ne sont pas écoutés par la communauté parce que ces derniers ne sont pas délégués par nos communautés. Que voulez-vous ? ». Il faut impérativement tenir compte de ces espaces de pouvoir traditionnel qui continuent encore à faire leur preuve au niveau local (échelle des communautés).
Les pêcheurs, après avoir reconnu qu’ils ont leur part de responsabilité dans l’état actuel de crise des ressources et qu’il serait du grand intérêt pour leurs communautés, ont cité quelques facteurs n’ayant pas favorisé au renversement de cette tendance, dont:
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La difficulté qu’ont certains leaders pêcheurs – conscients de la situation et prêts à bouger – à convaincre leur communauté de pêche à changer quand de l’autre côté on laisse les mains libres à la pêche industrielle pour faire ce qu’elle veut. Avec plus de transparence dans les pratiques de pêche industrielle et de renforcement de l’application des règlementations en vigueur, cela pourrait aider à faire bouger les choses du côté de la pêche artisanale aussi.
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Le marché c’est le pouvoir de l’argent et tant que la demande de poisson augmente dans des pays riches, la pression va continuer sur nos ressources et avec des administrations (pour des pays pauvres) n’ayant pas assez de moyens (ressources humaines, institutions fortes, capacité d’investissement et de gouvernance). Aussi, le pouvoir de négociation et la force de coercition requise de l’administration font encore défaut face aux armateurs.
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Il est temps d’intervenir sur le renforcement des administrations compétentes pour qu’elles fassent leur travail de supprimer plus efficacement la pêche INN.
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Il peut y avoir aussi un rôle pour les consommateurs de poisson notamment dans les pays riches et émergents. Des actions de sensibilisation sur les effets de leur appétit sur nos écosystèmes et les populations à faible revenu qui n’ont que le poisson pour les besoins en protéines animales pourraient aider à ralentir la croissance de la demande. Des labels sérieux de pêche durable et à faible impact pourraient aider dans une conscientisation des achats.
En rentrant au Sénégal, la tête tourne encore après avoir été confronté avec autant de changements depuis la dernière visite. En même temps, les problèmes repérés ne sont pas fondamentalement différents de ceux rencontrés au Sénégal. Dans les débarcadères importants de la pêche artisanale on trouve de plus en plus de pêcheurs qui ont leur attache principale dans un autre village ou pays, mais qui viennent pour une campagne ou se sédentarisent même. L’idée d’une académie de la pêche artisanale comme lieu d’échange et de recherche commune pour approfondir la compréhension des problématiques et l’exploration de voies de sortie souhaitables et faisables paraît plus opportune que jamais, voir nécessaire.
Texte et photos sont d’Aliou Sall (sauf indication contraire).
(4) Doumbouya A, Camara OT, Mamie J, Intchama JF, Jarra A, Ceesay S, Guèye A, Ndiaye D, Beibou E, Padilla A and Belhabib D (2017). Assessing the Effectiveness of Monitoring Control and Surveillance of Illegal Fishing: The Case of West Africa. Front. Mar. Sci., 4:50. doi: 10.3389/fmars.2017.00050
Le profil du pays se trouve sur le site de la Commission Sous-Régionale des Pêches, alors que les derniers résultats de la recherche halieutique relative aux captures depuis 1950 se trouvent ici.
Entre tradition et modernité
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