Isabella Lövin, 2012. Silent Seas – The Fish Race to the Bottom. Paragon Publishing, 244 p. Swedish original 2007. Tyst hav – Jakten på den sista matfisken, Ordfront – L’édition en langue anglaise a été mise à jour.

Le titre du livre d’Isabella Lövin «Silent Seas», fait évidemment référence au livre classique révolutionnaire de Rachel Carson «Silent Spring» de 1962, et ceci pour de bonnes raisons. Tout comme Carson a vu le danger d’un avenir avec beaucoup moins d’oiseaux, de faune en général et des écosystèmes dégradés sur terre, Isabella Lövin craint pour les mers et lacs, un avenir avec beaucoup moins de pêche, moins de faune, des écosystèmes dominés par les espèces dans les niveaux trophiques inférieurs, tels que les algues bleu-verts, que nous n’apprécions pas beaucoup. Carson et Lövin ont été choquées par les résultats d’une recherche attentive sur ce qui se passait dans l’environnement, et la mauvaise performance des autorités établies pour le protéger. Les récits dans les deux livres sont indéniables. Il est seulement regrettable que les livres aient près de 50 ans d’écart entre eux. La situation dans l’eau a été négligée pendant longtemps – tout simplement parce que nous ne pouvons pas voir ce qui s’y passe, ou peut-être parce que l’eau n’a pas de propriétaire.

Isabella Lövin à un déjeuner-débat à l’Université Libre de Bruxelles en 2014

Isabella Lövin est la journaliste spécialisée dans l’environnement, qui est devenue euro-parlementaire. Le passage du premier métier à l’autre a commencé avec la recherche d’un article pour journal sur la pêche de l’anguille en Suède. Le premier chapitre dramatique de l’ouvrage nous raconte comment elle a assisté à un séminaire sur la pêche de l’anguille à Stockholm, où apparemment tout le monde, partant des chercheurs et autorités aux associations de pêcheurs, était au courant de la situation précaire de l’anguille et donc de la pêche de l’anguille. Environ 99 % de l’anguille en Suède avait disparu. La situation dans l’ensemble de l’Europe était alarmante. La compréhension de la reproduction de l’anguille, qui est en fait un poisson assez mystérieux, faisait défaut. Les participants au séminaire ont fait valoir le fait que la pêche privée de l’anguille devrait être interdite, mais comment protéger la pêche commerciale de l’anguille? A ce moment, la jeune journaliste Lövin s’est levée pour poser la question suivante: «Pourquoi ne déclarez-vous pas l’anguille comme une espèce protégée? Ce serait la conclusion naturelle pour presque n’importe quel autre animal». Silence. Il était malheureusement clair que la protection de l’environnement et de la biodiversité était une préoccupation secondaire. Protéger le secteur et les emplois était la priorité.

La pêche de la morue a une place centrale car elle a été, et est en danger dans la mer Baltique et, pire encore, sur la côte ouest suédoise. C’est comme si les Suédois ou les Européens en général n’avaient rien appris de l’effondrement de la pêche de la morue, la plus spectaculaire et la plus riche du monde, à Terre-Neuve et à l’extérieur de Cape Cod sur la côte Est américaine. La morue de la mer Baltique, comme ailleurs, ne pouvait pas survivre au développement technologique extrême des méthodes de pêche avec les sonars, les grands chaluts, et l’équipement de congélation sur de plus grands navires. Pendant que les populations de poissons diminuent, l’industrie de la pêche est illogiquement fournie avec des subventions sans fin pour investir dans des navires et des équipements nouveaux et plus grands afin de capturer des quantités de poissons de plus en plus importantes – qui n’existent tout simplement plus. Un des détails choquants dans le livre de Lövin, c’est que l’investissement du gouvernement suédois dans le secteur de la pêche – des subventions de combustibles fossiles aux salaires lorsque la pêche est interdite – est presque exactement le même, 1 milliard de SEK, que la valeur économique de l’ensemble du secteur commercial de la pêche. Pour l’Etat (et les contribuables), c’est un jeu à somme nulle.

Les acteurs de ce drame sont tous personnellement représentés, avec leurs noms et informations. Certains – presque tous – devraient avoir honte de ce que nous apprenons de leur présentation et de l’information accessible au public à leur sujet.

Le drame lui-même est étrange: Les autorités se voient comme des médiateurs d’une négociation entre d’une part, l’industrie de la pêche, et d’autre part, les scientifiques. Les scientifiques ont la tâche de surveiller les populations de poissons et souvent de recommander un niveau durable des quotas de pêche, nécessairement faible, voire nulle. L’industrie de la pêche, qui veut avoir assez de revenus pour être en mesure de payer ses prêts pour les navires et les équipements, doit capturer et, grâce à des équipements sophistiqués, connaître la position des poissons, même si ce sont les derniers survivants d’une population. Après avoir défendu à maintes reprises les intérêts commerciaux, les autorités ont défini des quotas de pêche, très au-dessus de ceux recommandés, que les captures n’atteindront pas et qui conduiront à l’effondrement de la population de poissons. La pensée circulaire des autorités du secteur et de l’industrie est choquante.

Pourquoi les autorités du secteur ne se voient-ils pas comme les représentants des citoyens et des contribuables du pays? Pourquoi se sentent-ils obligés de permettre à l’industrie certains «droits de pêche», avec ou sans l’aide de chercheurs, même si il est clair pour tout le monde qu’ils offrent un gâteau qui se rétrécit rapidement au lieu d’en (re) faire un plus gros?

Sur la terre ce serait plus évident. Pourquoi cela ne l’est-il pas sur la mer? Isabella Lövin a posé la question à plusieurs personnes clés au cours de son voyage afin de comprendre cette folie institutionnalisée. Ils disent tous être contraints, même si parfois ils ont honte de ne pas protéger et maintenir au moins la ressource, ou encore plus les écosystèmes, l’environnement, les conditions de base biologiques. L’histoire commence avec l’examen par Lövin des conditions suédoises, mais continue à Bruxelles et au niveau de l’Union européenne.

Le niveau suédois est assez mauvais, mais le niveau européen semble encore pire, rien que pour sa plus grande taille. L’UE est la plus grande «nation» de pêche dans le monde et le plus grand marché de consommation de poissons, dont 70% sont actuellement importés en raison de la diminution des ressources nationales, surexploitées. La logique erronée et la mauvaise gestion s’y rajoutent. La conséquence est que les navires de pêche européens surdimensionnés pour leurs eaux domestiques et dominés par les Espagnols, se sont maintenant déplacés et contribuent à vider les mers autour de l’Afrique et l’Amérique latine.

Les mers sont devenues de plus en plus silencieuses. Les pays pauvres d’Afrique sont les perdants après avoir signé des contrats avec l’UE qui ne sont pas favorables pour eux. Bien sûr, certains navires asiatiques et russes peuvent être encore plus agressifs dans leur exploitation des eaux africaines, mais ce n’est pas une raison pour l’UE de dépenser l’argent des contribuables pour des pratiques non durables.

Lire le livre d’Isabella Lövin, « Silent Seas », c’est comme lire un roman policier. On se demande comment cela va finir, qui est le coupable? Elle nous emmène dans tous ces environnements, des bureaux du gouvernement aux navires (avec le mal de mer), là où le crime est commis. Elle parle aux vieux pêcheurs qui se souviennent du vieux temps où la surpêche n’était pas un problème. Elle parle aussi aux scientifiques qui expliquent les changements survenus dans les écosystèmes que peu de gens connaissent, mais qui sont les conséquences les plus dramatiques de la surpêche. A la fin, la victime est évidente – le poisson! Une autre chose est aussi claire: pas de poisson dans l’eau, pas de pêche. C’est comme vider votre compte bancaire au lieu de vivre des intérêts.

La taille minimum légale de la morue (Gadus morhua) dans la mer du Nord est de 35 cm, mais le minimum biologique est le double

Après la publication du livre et à la suite de ses conclusions choquantes, Lövin a commencé une carrière dans la politique. Peu de temps après, elle a été élue membre du Parlement européen pour le Parti vert suédois. Elle est l’une des politiciennes les mieux informées sur les questions de politique de la pêche, et a également été en mesure de réaliser beaucoup de choses. Les conditions de la mer en 2013 et 2014 sont un peu meilleures qu’en 2007, lorsque le livre a été publié en suédois. Au moment de la rédaction de la revue, un certain nombre de mesures positives a été voté dans le processus de réforme de la politique européenne commune de la pêche. La surpêche est désormais illégale. La grande bataille est maintenant de mettre en œuvre la réforme politique au niveau de l’UE et en particulier dans tous les États membres de l’UE riverains de la mer.

Le dernier chapitre du livre est une discussion d’actions possibles pour améliorer la situation désastreuse des mers suédoises et européennes. Certaines sont particulièrement efficaces et utiles:

  • Établir des aires marines protégées (zones de pêche interdite, où les poissons sont autorisés à se reproduire et à reconstruire leur population).

  • Libérer la recherche sur les populations de poissons de la surveillance des administrations du secteur et la confier à des universités indépendantes (pour rendre les données et leurs interprétations indépendantes des intérêts commerciaux à court terme).

D’autres actions sont bien connues et ont besoin d’être mises en œuvre :

  • Rétablir plus efficacement l’ordre pour les vaisseaux de pêche en faisant respecter les lois et réglements – aujourd’hui environ 20 % de la pêche dans les eaux scandinaves est illégal;

  • Rendre illégal (interdire) le chalutage de fond destructif;

  • Interdire le rejet de poissons en mer.

D’autres ont déjà eu un certain effet, comme l’étiquetage du poisson pour rendre l’origine transparente dans les magasins, même si le niveau de fraude dans certaines pratiques de pêche a défait certains des effets positifs.

La politique de pêche d’un pays et de l’UE, financée par l’argent des contribuables, doit évidemment être là pour garantir un bon poisson pour tous les citoyens et protéger l’environnement marin pour les générations actuelles et futures, et non servir pour des intérêts étroits et destructifs d’un petit groupe aux dépens de tous les autres.

Les réalités sont encore à l’opposé, en Suède, en Europe et, en effet, dans la plupart des pays. Cela doit changer. Le livre d’Isabella Lövin est un bon pas pour aller dans ce sens et poser la question des ressources naturelles là où il faut: dans l’intendance publique, et non dans les coulisses. Le livre devrait être lu par tous les citoyens, en particulier ceux qui ont déjà un rôle volontaire ou professionnel dans ce développement. Le livre est un bon guide pour comprendre les enjeux de nature politique qui dépendent du fonctionnement des institutions démocratiques. Ces enjeux ne sont certainement pas de simples questions techniques, même si les connaissances sur la nature et les aspects techniques du commerce sont non seulement utiles mais nécessaires. Espérons que le livre soit aussi influent pour la reconstruction de la santé des océans que le livre de Carson l’était pour la prise de mesure de la crise sur la terre.

Lars Rydén
Centre for Sustainable Development
Uppsala University
24 March 2014